<a10> À propos - 2. Cadre didactique

Faire des mathématiques avec GeoGebra

Depuis plus de trente ans (Douady, 1984), la problématique outil/objet et le changement de cadres font partie des théories de didactique des mathématiques les plus connus. Dix ans plus tard, le concept de registre de représentation sémiotique est introduit par Raymond DUVAL . Ces outils théoriques sont maintenant intégrés dans les différents programmes de mathématiques de notre système éducatif et de manière très explicite dans ceux du nouveau collège (Bulletin officiel spécial n° 11 du 26 novembre 2015 : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?pid_bo=33400) applicables à partir de septembre 2016 :

« Choisir et mettre en relation des cadres (numérique, algébrique, géométrique) adaptés pour traiter un problème ou pour étudier un objet mathématique. (p. 367) »

« L'élève développe son intuition en passant d'un mode de représentation à un autre : numérique, graphique, algébrique, géométrique, etc. Ces changements de registre sont favorisés par l'usage de logiciels polyvalents tels que le tableur ou les logiciels de géométrie dynamique. (p. 366) »

Dans la définition des cadres proposée en annexe, ARTIGUE , LENFANT et RODITI (Artigue et al., 2003) nous précisent que « les changements de cadre apparaissent ainsi comme leviers privilégiés pour provoquer la construction de connaissances nouvelles ». Dans le même article, ils nous rappellent que « de nombreuses recherches didactiques montrent en effet que les changements de cadres spontanés ne sont pas si fréquents chez les élèves ».

Même si cliquer sur une icône ne suffit pas à décider d'un changement de cadre, la présentation dans GeoGebra des différentes vues doit pouvoir aider à la spontanéité des changements de cadres chez les élèves.

Un cadre est un objet délimitant qui permet de définir l'environnement de travail dans lequel tel problème va être résolu. Le choix, par exemple, entre les vues Tableur et Calcul formel dans GeoGebra va, de fait, définir des cadres de travail distincts. Ne serait-ce que par l'explicitation visuelle des différentes fenêtres dans le logiciel, nous pouvons imaginer sans peine que l'usage régulier de GeoGebra peut amener les élèves et apprenants à Les différentes fenêtres de travail dans GeoGebra davantage de spontanéité dans les changements de cadres si fondamentaux pour la qualité de l'apprentissage des mathématiques.

Pour travailler dans un cadre, un élève a besoin de faire appel à différents registres. Celui de la langue naturelle le sera très régulièrement, mais aussi celui de l'écriture symbolique, numérique ou graphique.

Les équations, leurs usages, leur résolution, leur étude, traversent l'ensemble des programmes de mathématiques. L'exemple de réalisation 88 de ce manuel (Introduction à la notion d'équation produit, page 291) propose une activité d'introduction à la notion d'équation produit en fin de cycle 4 en proposant une entrée de la résolution du problème dans des cadres différents : numérique, graphique et algébrique. Dans chacun de ces cadres, le registre de l'écriture symbolique en mathématiques va être utilisé. Dans ce manuel, un certain nombre d'exemples de réalisation proposent des situations d'apprentissages utilisant différents cadres ainsi que tous les registres nécessaires à la résolution des problèmes.

Il ne faut cependant pas mettre de côté les difficultés des modes de représentations des objets mathématiques dans un environnement informatique. Nicolas BALACHEFF nous rappelle dès 1994 (Balacheff, 1994) que les phénomènes de transposition informatique sont nombreux et doivent être pris en compte. Un objet mathématique dans le cadre du papier/crayon n'a pas forcément les mêmes caractéristiques que dans le cadre du logiciel GeoGebra . La représentation d'un segment quelconque n'est, par exemple, jamais quelconque dès que le segment est tracé sur la feuille : la position et la mesure de sa représentation sont totalement déterminées. L'élève doit donc travailler avec l'idée (ou le concept) de segment quelconque pour résoudre son problème. Contrairement à sa représentation sur une feuille, la représentation d'un segment dans un logiciel de géométrie dynamique n'est pas forcément figée : sa position et sa mesure peuvent être variables. Il s'avère ainsi nécessaire, comme cet exemple le montre, de prendre en compte les spécificités des objets mathématiques dès lors qu'ils sont représentés et utilisés dans un environnement informatique comme GeoGebra . Cela signifie que si les objets mathématiques changent, l'apprentissage et l'enseignement des mathématiques aussi, comme nous pouvons le lire dans les programmes de Terminale S (Bulletin officiel spécial n° 8 du 13 octobre 2011 : http://www.education.gouv.fr/pid285/bulletin_officiel.html?cid_bo=57529): « L'utilisation de logiciels, d'outils de visualisation et de simulation, de calcul (formel ou scientifique) et de programmation change profondément la nature de l'enseignement. »

Pour prendre en compte ces changements, nous pouvons nous référer aux travaux de Luc TROUCHE qui, depuis de nombreuses années, travaille sur l'usage et l'optimisation des outils informatiques pour l'apprentissage et l'enseignement des mathématiques. Il développe notamment les notions d'instrumentation et d'instrumentalisation dans le cadre de l'orchestration instrumentale (Trouche, 2003).

Un logiciel disponible dans un ordinateur ou une calculatrice n'existe pas en tant qu'instrument tant qu'un individu, dans une situation d'apprentissage et d'enseignement, ne se décide à l'utiliser. Cet usage permet de passer de l'artefact, l'objet nu, à l'instrument. Cette notion d'instrument est totalement liée à l'individu ou au sujet. La référence à l'orchestre et l'instrument de musique nous aide à en avoir bien conscience. Cette création passe par deux phénomènes qui vont de l'artefact au sujet ou du sujet à l'artefact.

Laissons Luc TROUCHE (Trouche, 2005) nous rappeler les définitions de ces deux processus complémentaires.

« L'instrumentalisation est un processus de personnalisation de l'artefact, c'est donc un processus de différenciation des artefacts, par lequel chaque usager met cet artefact à sa main »

« (. . . ) »

« L'instrumentation, c'est donc ce processus par lequel les contraintes et les potentialités d'un artefact vont conditionner durablement l'action d'un sujet pour résoudre un problème donné. »

Une des conséquences les plus fondamentales de cette orchestration instrumentale est la personnalisation de l'instrument par l'apprenant, que ce soit dans le processus d'instrumentalisation où l'individu va adapter l'instrument à ses pratiques ou dans celui de l'instrumentation où il va être capable de découvrir de nouvelles façons de résoudre un problème grâce à l'instrument.

Nous vivons des moments particulièrement intéressants au niveau de l'apprentissage et de l'enseignement. Partout dans le monde, nous assistons à des remises en cause profondes de l'enseignement traditionnel par l'introduction des nouveaux outils pour apprendre que sont les tablettes, les objets communicants, les MOOC et autres logiciels comme GeoGebra . Des communautés se créent dont le seul but est de découvrir et d'imaginer de nouvelles façons d'apprendre et d'enseigner. Les instituts GeoGebra (Instituts GeoGebra : http://www.geogebra.org/institutes) en sont un exemple. Le rôle fondamental de l'enseignant d'aujourd'hui est de permettre à chacun, à chaque apprenant, de construire sa propre façon d'apprendre et d'intégrer ses savoirs. La difficulté de ce rôle est de permettre aux élèves de s'approprier les outils nombreux qui sont à leur disposition. Nous espérons que cet ouvrage aidera suffisamment les professeurs dans ce sens.

Annexe

Reprenons les définitions d'ARTIGUE , LENFANT et RODITI (Artigue et al., 2003) des notions de cadre et de registre

« Cadres et changements de cadres : R. Douady, qui a introduit cette notion de cadre en didactique, définit un cadre comme un ensemble « d'objets d'une branche des mathématiques, des relations entre ces objets, de leurs formulations éventuellement diverses et des images mentales associées à ces objets et relations ». Les changements de cadres jouent un rôle important dans la mise en œuvre de la dialectique outil-objet dans la mesure où l'interprétation d'un problème posé dans un cadre donné dans un autre cadre judicieusement choisi ouvre souvent des moyens d'action et d'avancée dans la résolution du problème inaccessibles dans le cadre initial. Les changements de cadre apparaissent ainsi comme des leviers privilégiés pour provoquer la construction de connaissances nouvelles dans leur dimension d'outil implicite puis explicite. C'est pourquoi cette approche didactique attache une importance particulière dans l'élaboration des situations d'apprentissage aux cadres susceptibles d'intervenir dans la résolution des problèmes proposés aux élèves (si possible, plusieurs doivent pouvoir intervenir) et à la façon dont le travail dans les différents cadres va pouvoir s'articuler, sous la conduite de l'enseignant. »

Registre : ce terme est utilisé ici avec le sens de registre de représentation sémiotique, avec l'acception que lui donne Raymond Duval (Duval, 1995). Un registre de représentation sémiotique doit permettre les trois opérations fondamentales suivantes : la formation de représentations dans le registre, leur traitement à l'intérieur du registre, la conversion vers un autre registre de représentation. Ainsi, par exemple, il distingue classiquement quand il est question d'algèbre et de fonctions : le registre de la langue naturelle, le registre des expressions symboliques algébriques, le registre des représentations graphiques. Précisons que plusieurs cadres peuvent utiliser le même registre et que le travail dans un cadre mobilise généralement plusieurs registres.

Bibliographie succincte

Régine DOUADY : Jeux de cadres et dialectiques outil-objet dans l'enseignement des Mathématiques. Une réalisation dans tout le cursus primaire. Thèse d'État, Université Paris VII, octobre 1984. URL https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01250665.

Michèle ARTIGUE , Agnès LENFANT et Eric RODITI : La confrontation de cadres théoriques dans l'analyse didactique de vidéos réalisées dans des classes. In Jacques COLOMB , Jacques DOUAIRE et Robert NOIRFALISE , éditeurs : Faire des maths en classe ? Didactique et analyse de pratiques enseignantes, pages 103–138. INRP, 2003. URL https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00609701.

Nicolas BALACHEFF : Didactique et intelligence artificielle. Recherches en Didactique des Mathématiques, 14:9–42, 1994. URL https://telearn.archives-ouvertes.fr/hal-00190648.

Luc TROUCHE : Construction et conduite des instruments dans les apprentissages mathématiques : nécessité des orchestrations, 2003. URL https://telearn.archives-ouvertes.fr/hal-00190091 . Document pour l'habilitation à diriger des recherches. Novembre 2003. Paris 7. France.

Luc TROUCHE : Des artefacts aux instruments, une approche pour guider et intégrer les usages des outils de calcul dans l'enseignement des mathématiques. In Actes de l'Université d'été de Saint-Flour ”Le calcul sous toutes ses formes”, pages 265–290, Saint-Flour, France, 2005. URL http://www.ac-clermont.fr/disciplines/fileadmin/user_upload/Mathematiques/pages/site_math_universite/CD-UE/Menu_pour_Internet.htm.

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